Les Chroniques de Lucullus n°395

Écrit par Lucullus. Publié dans Les chroniques.

plumeAmis gourmands bonjour,

Non, cette semaine également, je n'ouvrirai pas la boîte à gifles, je préfère repartir en balade, avec vous si vous voulez bien m'accompagner. La saison me rappelle une promenade originale, faite il y a très longtemps mais dont le souvenir m'est resté vivace.

Ce jour là, donc, je me suis réveillé de bon matin, un mois de novembre il y a très longtemps.
Lorsque je dis de bon matin, il faisait encore nuit noire, mais je compris tout de suite que le sommeil m'avait fui définitivement.
Il faisait beau car j'entendais les hululements nocturnes des chouettes retournant au nid, situé non loin de là dans un mazet en ruine. Que faire dans cette situation?
L'inspiration me vint aussitôt. Je décidais de partir en balade mais pas n'importe laquelle.
Allez, embarquez, je vous invite.

J'avais quelques semaines plutôt, repéré quelques roubines intéressantes. Repérage de pêcheur me direz vous.
Effectivement, j'étais alors à la recherche d'un petit coin tranquille, où planter mes canes pour ramener des vifs afin d'aller ensuite taquiner le sandre ou le brochet. Je sais qu'on peut les chasser au mort manié mais je préfère le vif. Question de sensations en fait mais je n'ai pas d'idées préconçues sur le sujet.

Toujours étant, me voilà debout, à préparer une petite cafetière, avant de grimper dans ma voiture et de m'en aller sous le ciel étoilé de ce matin de novembre, au demeurant assez frisquet.
Direction plein sud vers, ce plat pays qui n'a pas de clocher comme mat de cocagne, mais qui a d'autres attraits plus agréables.

J'avais une vingtaine de kilomètres à parcourir pour arriver sur les lieux.
Je ne sais pas en ce qui vous concerne mais, quand je suis seul au volant dans des cas pareil, j'aime bien mettre un peu de musique et ouvrir ma fenêtre pour sentir l'air ambiant et les odeurs qu'il charrie.

Non loin de ma destination, je quittais la route pour emprunter des chemins de terre, puis une sente herbeuse.
Je m'arrêtais alors et coupais le moteur. J'étais arrivé.
Ouvrant toutes grandes les fenêtres de la voiture, je me laissais envahir par la quiétude de la nuit.
Fermant les yeux je la ressentais au plus profond de moi.

Doucement sans bruit je sortis emmenant avec moi le plaid que j'avais préparé ainsi que le thermos de café que j'avais déposé dessus. Après m'être éloigné d'une vingtaine de mètres de la voiture pour ne pas en ressentir la chaleur, j'installais la couverture et m'y m'allongeais.
Bien vite le calme est revenu autour de moi alors que les premières lueurs de l'aube allumaient l'horizon d'une faible lumière blafarde. Je me mis à écouter.

Je ne sais si vous avez déjà fait cette expérience mais, la nuit lorsqu'on regarde attentivement le ciel, on aperçoit de plus en plus d'étoiles, jusqu'à embrasser du regard la voie lactée.
Là c'est exactement la même chose. Lorsqu'on est au calme, comme je l'étais, l'air s'emplit d'une multitude de bruits. C'est d'abord comme un brouhaha, mais, petit à petit, les sons se distinguent les uns des autres. L'air vibre et on essaie de reconnaître l'origine de ces vibrations.

Là, tout d'abord, alors que le ciel éclairait maintenant tout l'horizon, je distinguais nettement les stridulations des insectes nocturnes comme les grillons, qui se mêlaient déjà aux premiers appels des oiseaux partant chercher pitance. Les moustiques aussi avaient commencé leur journée et j'entendais nettement leurs sifflements lorsqu'ils passaient près de moi. Heureusement, en cette saison, ils ne sont plus très actifs.

J'étais toujours allongé sur mon plaid en bordure de la sente et la première risée de la brise matinale se fit sentir.
C'est l'arrivée du soleil qui fait s'ébrouer l'air et, alors, le monde diurne se remet lentement en marche.

Je la sentais, avec ce souffle léger, ce mélange caractéristique d'odeurs de sel intimement mélangé à celle des tourbières et des marais, qui se trouvaient non loin de là, après la roubines le long de laquelle je m'étais allongé. Je la sentais sur mes lèvres tout autant que par mes narines.

Le bruissement des joncs était cependant troublé par des sonorités plus sourdes qui s'élevaient à intervalles irréguliers. Je devrais plutôt dire par des feulements profonds mais assourdis par je ne sais quoi. On eut dit une sorte de conversation tenue par des monstres étrangement calmes.

Doucement, je levais la tête et me dressais à demi pour tenter de repérer la source de cet étrange phénomène.
Je dis cela, mais au plus profond de moi, j'étais certain de savoir ce que signifiaient ces meuglements sourds sortis de poitrails puissants.
Dans la légère brume matinale, par delà la roubine et le marais, je les ai entrevues, masses noires, allongées dans l'herbe sous le regard sombre et puissant du vieux mâle, "lou simbéo esta aqui".
Lui, impassible, me regarde car il sait depuis le début, alors même que la nuit étendait encore son voile de velours que j'étais là. D'ailleurs, il sait tout. Il n'a pas besoin de bouger pour connaître son environnement. Son immobilité renchérit l'impression de puissance fantastique qui se dégage de cet animal, le bioù.
A cinquante mètres de moi se tient le vieux mâle de la manade, le grand toro noir de Camargue, la raço di bioù.
Il protège du regard sa troupe assoupie dans la prairie humide. Il domine son monde depuis le petit monticule de terre.
Mais quelle est donc ce troupeau près duquel qui je suis venu m'étendre. C'est une manade et elles sont nombreuses dans le delta, près de 120.
Pour les reconnaître, il faut regarder la marque du fer. Là c'est un M à la patte droite qui s'allonge barrée en croix. C'est la manade Mazars de Vauvert Montcalm.

Vous l'avez deviné, je suis en Camargue et elle est fascinante ma Camargue.
Je pourrai bien, si je me laissai aller, à vous en parler des heures et des heures, mais trêve de bavardage il faut reprendre le chemin du retour.

Sur ces quelques mots je vous souhaite une excellente semaine.

Gastronomiquement Votre, Lucullus

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